INTERVIEW DANS ATLANTICO DU 21.02.2013
Atlantico : Marine Le Pen, présidente du Front national sera
l’invitée ce jeudi de l’émission politique Des Paroles et des Actes. Mercredi,
alors qu’elle était invitée à prononcer un discours par une association de
l’université de Cambridge, elle a été accueillie par des manifestants aux cris
de "Pas de nazi ici". Sur leurs pancartes, on pouvait également lire
"F comme fascisme et N comme Nazi". La question de l’image
ambivalente du parti se pose. Le FN devrait-il changer de marque et de nom
comme cela a été notamment évoqué par Gilbert Collard ?
François Belley
: Le sujet du changement du "nom de marque" revient régulièrement
dans la sphère politique. Il est d’ailleurs à noter qu’il est bien souvent porté
médiatiquement par des personnalités en quête de notoriété, voire de légitimité
politique. Souvenons-nous, à titre d’exemple, de Manuel Valls qui, en 2009
voulait changer le nom du PS, ou même d’Hervé Morin (la même année) intéressé
pour racheter la vieille estampe "UDF" jugée vraisemblablement plus
porteur dans l’esprit du "conso électeur". Concernant la marque
"FN", celle-ci s’est, de toute évidence, engagée depuis 2007 dans un
long processus de modernisation d’image où le produit "Marine" doit
maintenant l’emporter sur la marque "FN". Il y a même chez l’actuelle
présidente du FN une volonté de s'affranchir de la marque "Le Pen".
Souvenons de la dernière élection présidentielle, plus spécifiquement de son
affiche officielle de campagne : aucune mention de son nom ni de son
parti. Continuant la stratégie pour l’heure gagnante de dédiabolisation, Marine
Le Pen marque une vraie rupture de style préférant le sourire féminin aux
provocations viriles et inutiles de son père. Elle présente ainsi, à l’appui d’un
"packaging produit" résolument plus moderne, l’image d’une offre dans
l’air du temps, susceptible d'être intéressante donc à terme plus acceptable.
Cela dit, le FN qui existe depuis 1974 est un
"produit politique clairement identifié". Quels pourraient-être les
effets négatifs d’un tel changement ?
François Belley : Comme le patronyme "Le Pen", le
"FN" est aujourd’hui en effet une marque bien ancrée dans le paysage
politique français, clairement identifiée sur le plan idéologique et même
référente sur son marché à l’extrême droite. Historiquement, le "FN"
constitue donc, derrière le PC puis le PS, l’une des plus anciennes marques
politiques du marché avec ses attributs. Dès lors, elle bénéficie d’une
identité (construite au fil du temps) et d’une force d’évocations naturelles
liées à son histoire. Surtout, le "FN" constitue un repère voire une
certaine garantie à l’extrême droite pour le "conso électeur".
Autrement dit, s’affranchir d’une telle "marque" serait en d’autres
termes se priver d’un gage de caution et de sécurité au moment du passage dans
l’isoloir. Enfin, en termes d’image, l’erreur serait de tomber dans la
personnification à outrance du parti si d’aventure les instances dirigeantes
venaient à intégrer le nom de "Marine" dans le wording, traduisant en
effet l’ego trip et le culte du chef politique trop souvent dénoncés par les
Français.
Ce type de changement a déjà eu lieu dans
d’autres partis : RPR/UMP, UDF/Modem, Parti radical/UDI. Quels changements cela
a-t-il entraîné ?
François Belley : Pour une marque installée, le changement
radical de nom est toujours un pari risqué, l’enjeu étant en effet de ne pas
perdre au passage le consommateur. Autrement dit, l’électeur dans notre cadre.
Ainsi, une évolution est toujours plus intelligente. C’est justement ce qui est
en train d’être stratégiquement opéré au FN depuis plusieurs années. Car
au fond, ce n’est pas la marque FN qui est en train de muter mais bien celle de
Le Pen (plus importante et plus forte que la première) qui, à l’instar des marques
commerciales, a manifestement évolué, changé d’identité, de style, même de
packaging tout en ayant conservé un territoire propre et une histoire renvoyant
à des figures omniprésentes telles que son père évidemment. Ainsi, il ne faut
pas confondre les partis politiques et les personnalités de premier plan qui
les incarnent. L’enjeu est à mon sens davantage sur le nom Le Pen plus que sur
le FN se souvenant que dans une présidentielle, on vote plus pour 1 homme
(ou 1 femme) que pour 1 parti. A l’appui des dernières élections, l’étiquette
"Bayrou" a toujours été plus intéressante que celle du Modem, la
griffe "Sarko" plus attractive que l’UMP et Ségolène, "la femme marque" (dans
sa version 2007), plus désirable que le PS.
Depuis janvier, le parti organise des
conférences afin de former de futurs cadres en vue des municipales de 2014.
Cette initiative semble traduire un désir de modernisation. Jusqu’où le
changement d’image du FN peut-il être poussé ? Celui-ci peut-il aller de pair
avec un changement idéologique ?
François Belley : Marine Le Pen est face à un double
enjeu : d’abord, dépasser le "vote contre", le
"vote de la colère" et donc aller au-delà du fonds de commerce
et du positionnement historiques de son père. Ensuite, crédibiliser la
possibilité future d’une gouvernance "Le Pen" et donc transformer le
vote FN en "vote pour". Ce qui exige au préalable de gagner en
crédibilité en mettant en avant ses capacités personnelles mais
surtout les compétences de son équipe, avec forcément l’émergence
médiatique de figures dites neuves pour l’opinion publique. C’est, entre
autres, avec cette grille de lecture qu’il convient d’analyser l’existence
stratégique de personnalités "nouvelles" (sur le plan politique)
comme Gilbert Collard ou encore Florian Philippon.
A LIRE EN COMPLEMENT MON PAPIER SUR "LA MARQUE PS".