30 janvier 2013

"Taubira est devenue la figure de proue des pro mariage pour tous"

CONTRIBUTION DANS L'EXPRESS.FR DU 30.01.2013


Que fallait-il penser de l'intervention de la Garde des Sceaux à l'Assemblée Nationale ce mardi? Notre contributeur François Belley revient sur cette séquence passionnée.

Cela faisait bien longtemps qu'un projet de loi n'avait pas autant bipolarisé la vie politique Française comme le fait aujourd'hui celui du débat sur "le mariage pour tous". C'est le retour de la confrontation "gauche/droite" (l'un pour, l'autre contre) à l'Assemblée Nationale mais aussi dans la rue à l'appui des récentes manifestations orchestrées "militairement" par les 2 camps.Au-delà de la sur-médiatisation du sujet, c'est bien la passion extraordinaire qui s'en dégage et qui est intéressante. A l'appui de la séquence d'hier à l'Assemblée Nationale, nous voilà presque de retour à la 3è République où le climat toujours vif était souvent houleux, voire parfois violent avec son lot d'insultes et de franches bastons entre députés. Bien évidemment, nous n'en sommes pas là. Mais il n'empêche que cette question sociétale offre un débat moins passionnant que passionné, générateur forcément d'un "spectacle politique" offert aux médias, et en particulier aux chaînes d'informations.La séquence de débat à l'Assemblée de ce mardi, avec le lyrisme de Taubira et le pathos de Guaino, est en quelque sorte le clou du spectacle. C'est en presque trop, puisque maintenant 72% des Français estiment que "le débat" a "trop duré", selon un sondage Yougov pour le Huffington Post publié ce mercredi. Cela étant, il est fort à prévoir que cette séquence, à l'appui de cette loi, constitue le fait marquant de la présidence Hollande, un peu comme l'a été l'abolition de la peine de mort sous le premier mandat de Mitterrand.
 "Les opposants au mariage pour tous
avaient déjà une figure de proue avec Frigide Bardot".

Avec son intervention à l'Assemblée Nationale, Christiane Taubira est maintenant la personnalité qui "porte le débat". Les opposants au mariage pour tous avaient déjà cette figure de proue en la personne de Frigide Bardot. Sur la forme, Taubira est apparue hier assurée, sereine, n'a pas jeté un seul coup d'oeil à ses notes, tellement à l'aise sur scène qu'elle s'est même permis, en guise de rappel, de citer quelques vers du poète Léon-Gontran Damas. Par sa prestation réussie, Taubira a incarné fermement et avec le sourire le projet du Gouvernement, ré-affirmé sa place de Ministre, ré-affirmé sa position dans le débat et imposé de fait un certain leadership sur le sujet. En termes d'image, cette séquence médiatico politique lui a été bénéfique. Au-delà de la visibilité acquise, nul doute que la Garde des Sceaux a surtout gagné en crédit politique au sein d'abord de son propre camp puis peut-être en proximité avec ceux bien sûr en faveur du projet de loi.

"Son discours d'hier à l'Assemblée paraît déjà bien loin".

L'association avec Simone Weil faite d'ailleurs aussitôt sur les réseaux sociaux montre le charisme de la ministre de la Justice. Ces deux femmes d'époques différentes ont incarné, chacune sur un sujet de société propre à leur époque, le progressisme social. Cette intervention minutieusement préparé à, en quelque sorte, révélé la Garde des Sceaux, la propulsant au devant d'une scène médiatico politique trop souvent occupée ces derniers temps par Valls ou Montebourg. Mais le mieux est l'ennemi du bien. Christiane Taubira s'est précipitée en intégrant, dès le lendemain d'un discours réussi, la circulaire sur la question de la "gestation pour autrui". Il est aujourd'hui trop tôt pour parler d'erreur politique. En revanche, on peut avancer le couac évident en termes de communication eu égard au tollé provoqué aujourd'hui par cet effet d'annonce. Par cette circulaire, la Garde des Sceaux nourrit de toute évidence la position de l'opposition déjà virulente sur le sujet. Dès lors, son discours d'hier à l'Assemblée paraît déjà bien loin. La Ministre de la Justice n'a pas su gérer, à mon sens, le timing et ses séquences stratégiques sur ce dossier. Dommage, elle aurait pu être " la révélation " de la semaine du Gouvernement. Pas d'un seul jour uniquement. 

13 janvier 2013

De quel vide politique l’ascension de Frigide Barjot est-elle le reflet ?

INTERVIEW DANS ATLANTICO DU 13.01.2013. 


A l'occasion de la manifestation contre le mariage homosexuel ce dimanche, Frigide Barjot jouit d'une importance médiatique dont elle profite pleinement.
Atlantico : Ce dimanche est organisé une manifestation à l’initiative du collectif "La manif pour tous" qui rassemble une trentaine d’associations contre le projet de loi du gouvernement sur le mariage homosexuel. L'humoriste catholique Frigide Barjot, qui mène le collectif, semble être la figure de proue de l'opposition au "mariage pour tous". Comment expliquez-vous son ascension médiatique de ses derniers mois ? Cela vient-il notamment du fait qu'elle est la seule interlocutrice disponible pour les médias ? 

François Belley : Frigide Barjot est d’abord ce qu’on appelle une bonne « cliente ». D’aucuns reconnaissent en effet que le personnage est détonnant. Elle sait se mettre en scène et assurer au bon moment le fameux « spectacle » que les journalistes -en quête de l’audimat oblige- attendent toujours sur les plateaux TV. T-shirts à slogans, jupes courtes, tutoiement systématique, attitude franchement décontractée, prises de positions décalées, Frigide Barjot connait manifestement la (bonne) nourriture médiatique, la force des images tout en ayant toujours le sens des formules chocs pour faire mouche. Chez elle, tous les ingrédients sont là. Avec les journalistes, celle qui se définit comme « l’attachée de presse catholique » s’est d’ailleurs inscrite depuis peu dans la relation suivante : « J’assure le show. Et vous assurez mon existence médiatique donc politique en quelque sorte ». C’est du donnant-donnant ou plutôt du gagnant-gagnant et ce pour les deux parties. Assurément, Barjot est devenue un produit médiatique dans l’air du temps. Ensuite, à l’image de son pseudo, le style de Frigide Barjot est en rupture totale avec l’univers tradi et catholique qu’elle est censée incarner. Frigide Barjot a su en effet prendre le contre-pied de l’austérité reconnue de Christine Boutin et faire du « conservatisme cool » son positionnement stratégique. Cette opposition permanente qu’elle incarne et nourrit actuellement rend son personnage atypique donc forcément attractif aux yeux des médias et de son cœur de cible à droite. Sur un tel sujet sociétal, ça la positionne donc comme une figure de proue nouvelle et sensiblement différente. Ça plait, ça ne plait pas, là n’est pas la question. Force est de constater qu’elle sait et fait bien parler d’elle. 

Frigide Barjot n'a pas de responsabilité politique et demeure par conséquent plus libre de ses propos. Cela constitue-t-il un réel avantage dans sa stratégie de communication ?

François Belley : Son absence d’étiquette (pour l’heure) et son profil non politiques font surtout partis de ses forces actuelles lesquelles lui permettent, en plus d’une liberté de ton, de créer l’adhésion autour d’elle et de fédérer au-delà des partis. Ainsi, sa communication est astucieuse. On a l’impression d’avoir à faire à un nouveau type « d’Homme politique » avec une façon de faire de la politique totalement différente. Astucieuse, Frigide Barjot a surtout su faire d’un positionnement franchement « anti » un mouvement positif même festif avec la promesse de la manif « pour tous ». Pour autant, son ascension médiatico politique pose la vraie et seule question à mon sens du vide politique qu’elle est venue combler. Et donc de sa légitimité sur un sujet société jugé pourtant majeur au yeux du gouvernement en place.  Reflet de la société spectacle où le signe l’emporte trop souvent sur le sens, l’omni présence et le poids démesuré de Frigide Barjot sur cette proposition gouvernementale vient une nouvelle fois démontrer la crise du politique et mettre en lumière l’absence de personnages majeurs dans l’offre actuelle.

Au contraire, à vouloir trop en faire ou à parler trop franchement, ne risque-t-elle pas de braquer l'opinion contre sa cause ?

François Belley : Frigide Barjot va surtout continuer de nourrir son personnage. Autrement dit, continuer sans relâche à « vouloir trop en faire ou à parler trop franchement ». Car c’est son fonds de commerce, tout simplement. Chez elle, le « trop » est la norme. C’est ce qui attire en effet l’attention et suscite de l’intérêt. Ainsi, une normalisation à terme du personnage la ferait rentrer de facto dans le costume moins rosé et plus « moulé » du politique. Moins intéressant pour elle donc. Elle perdrait en effet tout ce qui fait aujourd’hui sa valeur ajoutée pour certains. Son personnage haut en couleur pourrait en revanche insuffler à terme une dynamique et, en cas de trop plein, passer le relais à un autre personnage aussi médiatique mais cette fois plus politique.

A long terme quel est l'objectif de la meneuse du collectif ? Comment peut-elle envisager l'avenir ?

François Belley : L’avenir et le poids « politique » de Frigide Barjot sont évidemment liés à la réussite ou non de cette manifestation, de la dynamique qu’elle saura ou non créer ces prochaines semaines mais surtout de son impact sur le projet de loi du Gouvernement. Il est évident que Frigide Barjot rêve en secret de rééditer le coup de 1984 lorsque la droite mobilisée dans la rue avait su faire reculer le gouvernement de Mitterrand sur le projet de loi sur l’école privée. Aussi, un retour en politique n’est pas totalement à exclure pour celle qui fit Science Po et qui s’est présentée -rappelons le-  aux élections municipales de 2008 à Paris. Celle qui publia en 2011 « Confessions d’une catho branchée » pourrait aussi en profiter pour changer l’image de l’église catholique en devenant par exemple la nouvelle égérie de sa prochaine campagne publicitaire. Puisqu’elle aime plus que tout être dans la lumière.





10 janvier 2013

INTERVIEW DANS "COM EN POLITIQUE" - LCP

J'ai suivi Manuel Valls lors d'un déplacement dans son fief à Evry. Voilà donc mon analyse sur sa posture de "marque" en devenir.  


Emission : "Com en politique" - LCP / janv. 2013. 

Une émission mensuelle (26’) présenté par Thomas Hervé.
Pour son quatrième numéro de la saison, "Com’ en Politique" s’est intéressé au très populaire Ministre de l’Intérieur Manuel Valls. Pourquoi plaît-il autant à droite qu’à gauche ? Quelles sont les forces de sa communication ? En quoi sert-elle son ambition politique ?
Nous avons suivi le pensionnaire de la place Beauvau lors d’un déplacement à Evry, où il fut maire pendant plus de 10 ans. Avec l’aide de François Belley, auteur du livre "Ségolène, la femme marque", "Com’ en politique" a décrypté la communication de Manuel Valls l’ambitieux.
Ce mois-ci également, "Com’ en politique" s’est intéressé à la communication des femmes politiques. Entre séances de coaching sur la posture et la voix et media-training, nous avons suivi des élues qui apprennent à maîtriser l’art oratoire. Y a-t-il des différences dans le travail de communication ? Comment bien gérer la voix, le ton, etc…Bref, toutes les petites techniques pour mieux communiquer sont dans ce nouveau numéro.
Enfin, retour sur l’aspect instantané des élections de l’UMP avec notre Œil de la Com’, Arnauld Champremier-Trigano. Live quotidien sur les chaînes d’info, avalanche de messages sur Twitter, débat par 20 heures interposés… Quand les clans Copé et Fillon revendiquent leur victoire, la bataille devient médiatique, en continu et en direct. Une stratégie risquée et inattendue.
Avec la participation de :

  • François Belley – Publicitaire de l’agence Melville
  • David Medioni – Spécialiste en communication politique
  • Béatrice Toulon – Coach pour Maestria Consulting
  • Isabelle Germain – Fondatrice des nouvellesnews.fr
  • Juliette Méadel – Secrétaire national du PS à l’industrie
  • Ghyslaine PierratSpin doctor
  • Arnauld Champremier-Trigano – Directeur de l’agence Mediascop
Une coproduction LCP Assemblée nationale et Découpages.

 

7 janvier 2013

La marque "Ségolène" est-elle vraiment has-been ?

INTERVIEW SUR ATLANTICO LE 06.01.2013.



Alors que Ségolène Royal ne cache pas son désir d'intégrer le gouvernement, la majorité des Français ne souhaitent pas voir l'ancienne candidate à la présidentielle faire son retour en politique d'après une enquête Harris Interactive pour le magazine Grazia.

 

Atlantico : Alors que Ségolène Royal fait la couverture du magazine VSD et ne cache plus son désir de revenir au gouvernement, la majorité des Français ne souhaitent pas voir l'ancienne candidate à l'élection présidentielle faire son retour en politique d’après une enquête Harris Interactive menée pour le magazine Grazia. Comment expliquez-vous le mélange d'amour et de haine qu'inspire la personnalité de Ségolène Royal ?


François Belley : Il faut d'abord noter que Ségolène Royal est un produit totalement à part sur le marché politique. Malgré le nombre d'échecs retentissants qu'elle a vécu, elle est toujours là. On connaissait son sourire, les Français ont découvert ses larmes après sa défaite aux primaires, puis aux législatives. Il n'en demeure pas moins que Ségolène Royal existe toujours politiquement. Si 64% des Français sont hostiles à son retour, presque 40% estiment qu'elle pourrait avoir sa place au gouvernement. Un peu comme Bernard Tapie, Ségolène Royal est une sorte de sphinx qui renaît de ses cendres. Il y a effectivement de la fascination et de la répulsion pour Ségolène Royal car c'est un personnage hors normes qui fait de la politique comme on fait du marketing. Elle a le sens de l' image et sait jouer avec l'émotion : sourire lorsqu'il le faut, pleurer lorsqu'il le faut. Par ailleurs, elle reste médiatique grâce à son parcours privé puisqu'elle est l'ancienne compagne du président de la République actuel.

 

Dans votre livre, Ségolène la femme marque, vous comparez l'ex-candidate à la présidentielle à une "marque" politique. Est-ce que "la marque Ségolène" est toujours tendance ?


François Belley : Ségolène Royal reste "une marque" pour trois raisons. La première est son importante notoriété. Elle existe médiatiquement, donc elle existe politiquement. Deuxième point, son identité politique est claire pour le "consommateur/ électeur" qui la positionne très facilement. L'esprit participatif est par exemple associé au personnage. François Hollande et Martine Aubry sont des "produits" politiques issus du parti socialiste. A l'inverse, Ségolène Royal n'a pas besoin du parti socialiste pour exister. Elle existe en tant que "Ségolène" et non en tant que marque PS. Troisième élément, elle s'inscrit dans la durée. Daniel Cohn-Bendit est lui aussi une vraie marque politique parce qu'il a su incarner son "personnage" dans la durée à travers sa provocation et ses formules. Il a su garder le même cap comme Nicolas Sarkozy ou Arlette Laguiller dans des registres différents. Ségolène a su également s’inscrire dans le temps à coup de formules, de provocations et d'images chocs pour faire mouche. Aujourd'hui, Ségolène Royal reste donc bien une marque, même si celle-ci est effectivement moins tendance qu'auparavant. Elle a perdu en crédibilité et en visibilité. Ségolène Royal est forcément moins dans l'air du temps d'autant plus que le "consommateur électeur"est versatile.

 

Malgré les mauvais sondages, Ségolène Royal peut-elle reconstruire son image de marque ?


François Belley : Si demain, elle retourne au gouvernement, il n'est pas impossible qu'elle redevienne populaire. Comme Manuel Valls, elle pourrait jouer avec beaucoup de dextérité de la communication et des images. Il serait intéressant de voir comment les Français apprécieraient son retour de manière concrète. Ils constateraient probablement qu'elle a de l'expérience et de l'influence. Elle a été plusieurs fois ministre et a été candidate au second tour de l'élection présidentielle contre Nicolas Sarkozy. Ségolène Royal conserve tous les atouts et les valeurs de "la marque", notamment sa combativité et sa pugnacité. C'est un gros capital à l'heure où le Premier ministre et même le président de la République se cherchent un style. A l'heure où Jean-Marc Ayrault se cherche une âme de chef de guerre, tout le monde connaît la détermination de Ségolène Royal. Elles est certes moins attractive qu'avant. Mais il ne serait pas inintéressant de comparer sa cote de popularité à celle de Michel Sapin ou Laurent Fabius. Le sondage qui vient d'être réalisé sur son éventuel retour n'est pas forcément inquiétant lorsqu'on le compare à la cote de popularité du gouvernement et du Président de la République. Pour gagner en popularité, elle doit maintenant gagner en proximité. L'ancienne candidate à la présidentielle doit donc sans doute renouer avec le terrain et l'action pour reconquérir du crédit. Si elle revient au gouvernement, elle saura créer l'évènement autour d'elle comme Nicolas Sarkozy lorsqu'il était au pouvoir.

3 janvier 2013

Claude Serillon à la rescousse de François Hollande : quel plan de com' pourrait sauver l'Elysée en 2013 ?

INTERVIEW DANS ATLANTICO LE 03.01.2013 
Claude Serillon, journaliste tempétueux et ami historique de François Hollande, vient de prendre ses fonctions officielles de "spin doctor" du président. Auteur supposé du "Moi président", le nouveau monsieur communication de l'Elysée va-t-il parvenir à faire bouger la com' présidentielle ?
Atlantico : Claude Sérillon, journaliste réputé pour sa liberté de ton et son franc-parler, prend officiellement ses fonctions de « monsieur communication » de l’Elysée. Qu’est-ce qu’un journaliste aguerri qui a subi à titre personnel les caprices du pouvoir politique peut apporter à la communication du président Hollande ?

François Belley : L’apport potentiel de Claude Serillon à la communication du président Hollande est avant tout le recul nécessaire à la fonction d’homme d’Etat. Tous les hommes et les femmes qui sont appelés à de si hautes fonctions que sont celles de secrétaires d’Etat, de ministres ou de président de la République doivent bien s’entourer mais doivent avant tout simplement s’entourer. Certains politiques sont convaincus qu’une fois nommés ils seront de bons communicants et pourront continuer à sentir le pouls de la France mais c’est faux et avec le temps ils finissent toujours par manquer de recul. C’est bien pour cela que les agences de publicité existent et que les entreprises ne font pas leur communication elles-mêmes car les publicitaires, en étant loin du corporatisme interne de leurs clients, peuvent à souhait analyser le marché et la concurrence avec objectivité. C’est la même chose en politique.
Claude Serillon est plus qu’un proche de François Hollande puisqu’il est littéralement présenté comme l’un de ses amis et c’est probablement ce qui fait l’intelligence de ce choix. Le meilleur des communicants, s’il est un mercenaire, ne pourra jamais dire ce qui ne va pas avec autant d’honnêteté que le fera un ami. Il est de coutume de dire dans le milieu de la communication que le meilleur des conseillers en communication politique est celui qui n’est pas payé, qui n’a rien à perdre. L’absence d’argent est une image mais celle-ci témoigne du fait qu’un bon conseiller ne doit pas avoir besoin de protéger son statut sans quoi il deviendra mauvais par le fait qu’il dira à son « conseillé » ce que celui-ci voudra entendre. Qui d’autre qu’un ami à la parole désintéressée peut vous dire sans peur que votre cravate est mal mise depuis trois mois ? De plus, Claude Serillon est de ceux qui connaissent parfaitement François Hollande puisqu’il l'accompagnait dans les petits déjeuners où se créait un comité de pilotage fait de fidèles et ce jusqu’au duel du deuxième tour qui constitue le combat suprême de la communication politique. On lui attribue notamment certaines formules comme l’anaphore « Moi président ».
Enfin, Claude Serillon apportera son expertise de la presse, plus largement des médias, des agendas, de la politique, des fonctions d’image, du spectacle de par ses interventions auprès de Michel Drucker et particulièrement de la mise en scène du spectacle politique.

La personnalité sans concession et grande gueule de Claude Serillon peut-elle au contraire desservir la communication de l’Elysée ?

Claude Serillon en tant qu’ancien journaliste très médiatisé et habitué aux feux de la rampe va devoir fournir un effort pour rentrer dans son rôle de communicant pour homme politique et donc dans l’ombre afin de ne pas desservir la communication du président Hollande. Je pense que son brief est très simple et qu’il le connaît : être invisible et silencieux tout en étant omniprésent, se satisfaire uniquement de sa patte que l’on ne tardera pas à reconnaître dans les discours et les postures. La communication politique est un sale boulot dans lequel on travaille énormément pour une reconnaissance publique très faible voire nulle et dans lequel il va lui falloir mettre son ego et son emprise médiatique de côté.

La question sera aussi de savoir si monsieur Serillon se positionne en tant que communicant ou comme un véritable « spin doctor ». Le terme est assez mal connoté en France et amène tout de suite à penser aux exemples anglo-saxons de Karl Rove, conseiller ultra contesté mais ultra influent des deux mandats de Geoges W. Bush, et de Alastair Campbell qui avait l’oreille de Tony Blair. En France, le dernier grand exemple, si l’on exclut Jacques Séguéla qui était plutôt un communicant ponctuel, était Jacques Pilhan qui a accompagné François Mitterrand et Jacques Chirac tout en maintenant cette dualité de l’influence et de l’ombre.

Claude Serillon est en réalité un proche historique de François Hollande et il semble qu’il lui ait dispensé ses conseils depuis la campagne présidentielle. La possibilité d’une nouvelle communication est-elle donc morte dans l’œuf ?

La normalité de François Hollande n’a pas été une erreur mais il semble qu'un cap en terme de communication a visiblement été atteint. Elle correspondait parfaitement à la nature de François Hollande, plein de bonhomie, quelque chose de chiraquien qui contrastait avec le style Sarkozy qu’une grande partie des Français ne supportait plus. Ainsi, François Hollande a pu créer une double rupture, d’abord au sein du PS au sein duquel flottait encore l’ombre d’une candidature potentielle de Dominique Strauss-Kahn et ensuite avec la posture volontariste et proactive de Nicolas Sarkozy. Plus qu’une erreur de communication le maintien du personnage de président normal est plutôt un hésitation, un manque total de style qui contraste une fois encore  avec la cohérence de Nicolas Sarkozy qui depuis le ministère de l’Intérieur jusqu’à sa défaite en 2012 a maintenu le cap de son personnage public. L’erreur d’Hollande est donc d’être resté ce qu’il est qui l’a d’abord servi et le dessert maintenant car il lui manque des attributs comme l’autorité et le charisme qui sont des thèmes qui reviennent comme ce que les Français attendent d’un chef d’Etat. Le président Hollande doit donc se trouver plutôt que singer Nicolas Sarkozy en allant à Rungis ou dans une usine car un style politique n’est crédible que si vous l’inscrivez dans le temps sans quoi apparaît cette sensation d’hésitation qui ressemble à de l’amateurisme que cela en soit ou pas.

D’une normalité qui ne sied pas au statut présidentiel à une visite à Rungis dans les pas de l’hyperprésident Sarkozy, quelle marge de manœuvre reste-t-il à la communication Serillon-Hollande ?

La mission de Claude Serillon va être de « vendre » un nouveau Hollande, président et bien installé dans son siège maintenant que la période d’essai des trois mois est largement dépassée. Il faut donc se détacher complètement de la posture de normalité qui avait été stratégiquement choisie pour sa proximité avec le vrai François Hollande et son intérêt stratégique contextuel. En effet, on ne sent pas en François Hollande une soif de pouvoir qui existe magré tout, sans quoi il n’en serait pas là, que dégagent Nicolas Sarkozy ou Manuel Valls. Ce que recherchait probablement le président Hollande en allant à Rungis était de prendre l’initiative du rapport médiatique comme le faisait son prédécesseur. C’est là qu’est le grand défi médiatique de François Hollande et Claude Serillon, d’être dans l’action et non plus dans la réaction, de se débarrasser de cette image de personnage un peu à la traine sur les dossiers et qui suit les journalistes plutôt que l’inverse. Il va leur falloir trouver une sorte gravité médiatique exigée par la fonciton présidentielle et celle-ci pourrait passer par l’action de terrain qui est pour l’instant trustée par Manuel Valls et la séquence ultra médiatisée d’Arnaud Montebourg. Il va devoir renforcer une image de chef de troupe à laquelle échoue Jean-Marc Ayrault.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure