25 mars 2009

Une Interview avec le blog Mille Watts

Je vous mets ci-dessous les réponses aux questions auxquelles j'ai répondu dans le cadre d'une interview du blog Compol spécialisé dans la communication politique. Merci à Sarah Fraisse pour son intérêt et sa curiosité. Allez on y va.




INTERVIEW

Pendant ses déplacements, Ségolène Royal a créé l'évènement à plusieurs reprises par ses déclarations. Selon vous, est-ce une stratégie contrôlée et volontaire ?
L’une des spécificités de Ségolène Royal réside en effet dans cette capacité à constamment créer l’événement : c’est ce qui la rend sensiblement différente sur le « marché » politique et intéressante en termes de communication. A l’instar de Nicolas Sarkozy, la présidente de région a bien compris le fonctionnement des médias, l’impact des images fortes et l’importance des « petites » phrases pour faire l’actualité. Dès lors, l’utilisation régulière de formules choc, pour occuper l’espace et personnifier le débat, devient le crédo de Ségolène Royal, toujours en quête de visibilité. Aujourd’hui, pour communiquer, il convient aussi de savoir bousculer, déstabiliser voire même provoquer. A ce titre, on se souvient du tollé que la socialiste avait suscité, lors de la libération d’Ingrid Bétancourt en juillet 2008, en affirmant tout de go que « Nicolas Sarkozy n’avait été absolument pour rien » dans cette affaire ou encore de la polémique suite aux accusations portées par l’ex candidate à l’élection présidentielle à l’égard du « clan Sarkozy » quelques jours après l’intrusion dans son domicile principal de Boulogne Billancourt. Chez Ségolène Royal, chaque sujet d’actualité devient donc potentiellement un moyen d’exister aux yeux des médias et des Français, en somme, de rester au premier plan. Toujours d’actualité, cette stratégie s’applique d’autant plus aujourd’hui que Ségolène Royal n’est ni parlementaire, ni présente dans les instances du PS, d’où le besoin de faire parler d’elle en permanence pour rester dans le « top of mind » des personnalités politiques françaises… au moins jusqu’en 2011 et les primaires du Parti socialiste : soit autant de raisons qui créditent la thèse selon laquelle aujourd’hui les déclarations de Ségolène Royal (qui s’inscrivent dans une stratégie essentiellement médiatique) sont, à mon sens, souvent réfléchies et toujours opérées en fonction d’objectifs d’image et de communication bien précis. Trois exemples récents pour illustrer ce propos :

- janvier 2009 : Ségolène Royal se rend à l’investiture de Barack Obama et profite d’une extraordinaire fenêtre de tir (en termes d’exposition médiatique et donc d’auditoire) pour déclarer « avoir inspiré » le président nouvellement élu et ses équipes. La formule est reprise massivement dans les médias. De fait, Ségolène Royal créé l’actualité autour d’elle lui permettant ainsi de reléguer au second plan, Martine Aubry, qui présentait au même moment (le 21/01/09) son plan de relance face à la crise.

- février 2009 : Ségolène Royal est en Guadeloupe au côté des manifestants. Au cœur de la crise et dans un contexte forcément émotionnel (suite à la mort tragique d’un syndicaliste), la présidente de région appelle l’Etat à trouver des « solutions » créant, par ses propos, une polémique dans les rangs de l’UMP : soit une façon pour la socialiste de ré affirmer son statut de première opposante au moment même où les derniers sondages plébiscitent Olivier Besancenot et Martine Aubry comme les opposants les plus crédibles.

- mars 2009 : Total vient d’annoncer la suppression de 550 emplois. Ségolène Royal intervient aussitôt dans les médias en proposant de « prélever les bénéfices » du groupe pétrolier : soit une opportunité d’affirmer son ancrage à gauche à l’heure où le modèle capitaliste, crise oblige, est justement remis en question. De fait, les interventions de Ségolène Royal sont toujours très intéressantes à analyser, en seconde lecture, tant celles-ci s’inscrivent dans une stratégie de communication bien huilée, laquelle doit pouvoir nourrir la marque « Ségo » en permanence, lui offrir de la visibilité et la rendre (encore) audible sur la scène politique.

Ségolène Royal VS Paris Match : certains vont jusqu'à dire que toute l'opération était préméditée et que celle-ci fait partie de sa stratégie de communication. Qu'en pensez-vous ? Le rapport de Ségolène Royal et de son image publique est-elle complètement maîtrisée ?
Ségolène Royal a compris très tôt que nous vivions dans une société médiatique dans laquelle l’image et la forme l’emportent souvent sur le fond. Dès lors, la présidente de région s’est très vite construit une notoriété puis une image de marque avec l’aide « complice et bienveillante » des médias et de la presse people. Entre les deux parties en effet, une relation « gagnant gagnant » s’est instaurée selon le principe suivant : « je vous fais vivre en vous donnant de l’info, vous couvrez l’événement et me construisez, sur le long terme, ma notoriété et mon image de marque ». Et cette relation n’est pas nouvelle, elle date des années 90 lorsque Ségolène Royal était jeune ministre de l’Environnement. A ce propos, on se souvient notamment de la fantastique opération de communication orchestrée par ses soins lors de l’accouchement de sa fille Flora en 1992. Pour créer l’événement, Ségolène Royal n’avait pas hésité, à l’époque, à dépêcher, à la maternité, la presse et une équipe de télévision. Un coup médiatique qui sera notamment repris dans les JT du soir et par Paris Match (déjà) qui lui consacrera pas moins de quatre pages. Le rapport qu’elle entretient depuis toujours avec la presse people et Paris Match plus précisément est, à ce titre, intéressant à analyser tant le célèbre hebdo a toujours été le témoin privilégié et exclusif des moments forts de la vie personnelle de Ségolène Royal : de son accouchement en 1992, à « son envie » (en 2005) d’être candidate à la présidentielle, à sa rupture avec François Hollande en 2007, en passant par sa reconstruction en 2008 et enfin sa nouvelle idylle en 2009.

Dans la sphère politique, Ségolène Royal constitue, à l’instar de Nicolas Sarkozy, un véritable cas d’école tant elle maîtrise son image publique avec sens du stratège au gré des différentes séquences de sa vie personnelle qu’elle sait toujours mettre en scène avec émoi : tantôt sur le canapé de Vivement Dimanche (janvier 2008) en faisant part à Michel Drucker des ses « douleurs », tantôt en posant pour un journaliste de Paris Match (Septembre 2007) dans un hôtel avec en arrière plan un lit avec un seul oreiller, une façon de prouver que la rupture avec François Hollande est alors bien consommée. Dans ce contexte, comme faire le procès de Paris Match et plus largement de la presse people (Voici, Closer et France Dimanche viennent d’être condamnés pour « atteinte à la vie privée ») alors que celle-ci est en même temps à l’origine de la construction, de la « story » et du succès de la « marque » Ségolène ? Dans ce cadre, la dernière séquence de Marbella était-elle alors préméditée comme l’avancent certains journalistes ? La question reste en suspens pour autant. « Volées » ou non, force est de constater que ces photos, faites de simplicité, de tendresse et d’anti « bling bling », servent, en tout état de cause, la présidente de région au moment où celle-ci traverse justement une période délicate illustrée par :

- un manque d’exposition et de légitimité à gauche suite à l’élection de Martine Aubry au poste de Premier secrétaire et la percée d’Olivier Besancenot perçu comme un « produit » neuf donc, par définition, attractif,

- une chute de sa popularité qui voit l’ex candidate être reléguée au 32ème rang des personnalités politiques préférées des Français (sondage Ifop/Paris Match du 10/03/2009),

- un déficit de crédibilité exprimé par les seuls 27% des Français qui la jugent « capable de changer les choses » (sondage BFM/La Tribune du 14/03/2009).

La stratégie de Ségolène Royal et sa façon de concevoir la communication politique a-t-elle connu des inflexions depuis la fin de la présidentielle et depuis le congrès du PS ?
Depuis la présidentielle de 2007, Ségolène Royal s’est toujours inscrite dans une même démarche prospective et (paradoxalement) une dynamique de victoire, souhaitant par la dite stratégie, incarner une posture de leader pour rester aux yeux des Français comme une « marque » présidentiable. A l’instar de son discours post présidentiel du 02/05/07 dernier évoquant « d’autres victoires », Ségolène Royal s’est une nouvelle fois projetée dans l’avenir, dès sa défaite au poste de Premier secrétaire, appelant les internautes « à continuer plus que jamais » la bataille. En maintenant cette cohérence de posture, la présidente de région renvoie ainsi l’image d’une femme politique sereine, déterminée et sûre de son destin. Elle rappellera d’ailleurs, au lendemain de l’annonce officielle de Martine Aubry au poste de Première secrétaire, que pour elle, « femme debout », « 2012 c’est demain » : soit une façon maligne de rester au premier plan, dans l’esprit des Français et des médias en vue de la prochaine échéance présidentielle. Sur ce point, l’ex candidate a su garder une certaine cohérence en termes de communication.

En revanche, on peut observer une inflexion à mon sens, à l’occasion de la publication de son ouvrage « femme debout ». Il est en effet intéressant d’analyser le ton employé par Ségolène Royal dans cet opus, lequel vient justement prendre le contre-pied de la stratégie « différenciante » employée par la madone tout au long de la campagne présidentielle. A l’appui de ce dernier écrit, Ségolène Royal change en effet radicalement de posture en passant d’une image volontairement éthique (pas d’attaques, pas de polémiques) et d’un statut de victime (sur le mode « moi et les autres ») à un comportement résolument plus agressif à l’égard de Sarkozy (certes) mais également envers ses propres camarades tels Aubry, Jospin, Lang & co : soit une nouveauté chez elle. Celle qui refusait, hier, de tomber dans des querelles politiciennes et d’appareils emploie soudainement les mêmes méthodes. Une rupture d’image qui renvoie, de fait, au vieux système, la femme « douce et maternelle » qui avait construit son identité de « femme marque » aussi sur cette différence. Dès lors, son image s’est brouillée presque naturellement d’une part, auprès des militants et des sympathisants socialistes (cf : les derniers sondages) qui souhaitent voir désormais l’unité dans leurs rangs, d’autre part auprès des Français (cf : cote de popularité) qui attendent de nos dirigeants qu’ils soient aussi force de propositions et plus seulement d’opposition gratuite. Cette stratégie s’avère quelque peu risquée. Les derniers sondages le prouvent. Pour Ségolène Royal, il est donc capital de revoir sa stratégie de communication à l’heure où la marque Besancenot se construit, gagne en crédibilité et en parts de marché à gauche. Pour Ségolène Royal, l’enjeu, à court et moyen terme, réside donc en sa capacité à retrouver ce qui faisait simplement sa force lors de l’élection présidentielle, soit continuer à incarner :

- le changement et la modernité par la mise en avant de son identité féminine et ses valeurs d’écoute et de proximité ;

- le symbole du renouveau de la gauche face à l’image traditionnelle du PS véhiculée par le parti et le produit « Aubry »,

- l’alternative possible de Nicolas Sarkozy en imposant (de par son expérience à l’élection présidentielle et sa force permanente d’opposition) dans l’opinion son statut légitime de première opposante et en gagnant en crédibilité. Jusqu’à présent, Ségolène a réussi à créer le désir.
Tout en le maintenant, la présidente de région doit maintenant gagner la confiance de l’opinion. Un travail au long cours pour trouver le bon équilibre entre la forme et le fond.

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