9 octobre 2009

Frédéric Mitterrand ou l’exercice difficile de la prestation télévisuelle en temps de crise.


Avant de décrypter la prestation télévisuelle de l’actuel ministre de la culture et de la communication, il me semble important et capital de revenir sur le contexte, pour le moins « propice » et explosif, dans lequel « l’affaire Mitterrand » a éclaté pour des propos extraits d’un ouvrage (« La mauvaise vie », Ed. Pocket) datant pourtant de… 2005 (et dont les ventes de l’édition de poche explosent, paraît-il, depuis peu sur Amazon.fr). Plusieurs éléments contextuels me paraissent en effet essentiels :

- premier élément, la polémique a surgi dans la foulée de l’affaire Roman Polanski aussi controversée que passionnelle, laquelle a divisé, ces derniers jours, l’élite artistique et intellectuelle (plutôt clémente, dans un premier temps, à l’égard du réalisateur) et l’opinion publique (très pragmatique, quant à elle, compte tenu des faits reconnus et reprochés à l’accusé).

- deuxième élément, le positionnement même de Frédéric Mitterrand à l’égard de cette même affaire. Impulsif et (déjà trop !) émotif, le ministre de la culture avait alors réagi publiquement, de manière hâtive et surprenante, qualifiant l’histoire « d’ancienne » et les conditions d’arrestation « absolument épouvantables » : soit une première erreur de communication, selon moi, qui relevait essentiellement de l’affect et de l’émotionnel (à l’égard du réalisateur) mais qui faisait totalement abstraction des faits (pourtant reconnus) et de l’état de la victime. Soit une posture qui laissera d’ailleurs perplexe la majorité présidentielle (finalement peu solidaire à la suite de ses propos) qui resta étrangement silencieuse après cette déclaration.

- troisième élément, le contexte actuel au Front National en manque de visibilité sur la scène politique notamment en vue des prochaines régionales. En allumant la mèche la première et en faisant d’une affaire privée et personnelle une affaire politique, Marine Le Pen a non seulement occupé et gagné du terrain (médiatique) mais a surtout engendré quelques points supplémentaires dans sa quête de leadership.

- enfin quatrième et dernier élément et pas des moindres, le titre même de l’ouvrage « La mauvaise vie » dans lequel Frédéric Mitterrand livre une part de lui-même. Le poids des mots confère inéluctablement une force d’évocations et d’imaginaire. Il va d’ailleurs bien au-delà de la seule signification immédiate. Dès lors, les mots ont un sens surtout chez un homme de lettres comme le ministre de la culture. De fait, le titre du « récit » aux connotations péjoratives, sources inévitables d’ambiguïté et de confusions, laisse la place naturelle aux troubles et aux doutes, tout du moins aux interrogations spontanées et légitimes avant même son explication télévisuelle.

La forme maintenant est tout aussi intéressante à décrypter.
- premier point, le choix du média télévisuel et le tout puissant 20h de TF1 (qui réalisera ce soir là sa meilleure audience depuis le 19/03/09 avec plus de 8,2 millions de téléspectateurs et une part d'audience de 33,3%) pour venir s’expliquer et couper court à ce « torrent de mensonges et d’amalgames ». Le sacro saint plateau du 20h de Laurence Ferrari était-il finalement pertinent, le support le plus adapté, le mieux approprié pour passer ce type de message et optimiser son efficacité ? Ce canal cathodique n’a-t-il pas simplement vulgarisé et amplifié la polémique me rappelant, à ce propos, (même si le contexte était un peu différent) Dominique Baudis, lequel avait (par son passage maladroit et non maîtrisé au 20h de TF1) transformé une affaire locale en une polémique nationale. La question mérite donc d’être posée à l’heure où la quasi-totalité de la presse quotidienne (tel le Parisien de ce jour, peu convaincu, qui titre « L’affaire Mitterrand sème le trouble ») consacre sa « Une » à cette affaire. Au lieu d’attendre 3 jours en minimisant, à tort, l’impact des déclarations de Marine Le Pen, Frédéric Mitterrand n’aurait-il pas dû tordre aussitôt le cou à la rumeur et réagir (compte tenu de sa forte sensibilité émotionnelle) plutôt par voie de presse ou par le biais d’internet (via par exemple une web TV au contenu et au contenant mieux contrôlés) afin de renvoyer à l’opinion une meilleure maîtrise de la situation ?

- deuxième point, la prestation même de Frédéric Mitterrand. Costume sombre, visage grave, doigts crispés, regard fuyant, voix hésitante et vibrante, tenue courbée, l’auteur de « La mauvaise vie » et « accusé » d’un soir, est apparu à l’écran visiblement nerveux avec un mal à l’aise de circonstance, incarnant dès lors une posture de victime (n’hésitant pas à parler « d’injustice »). Le média télévisuel est un média cruel (car détecteur de fautes) pour celui qui ne maîtrise pas ses codes. Au-delà de la conviction attendue et des formules bien préparées qu’il convient de travailler, il importe surtout de bien présenter, de tirer le meilleur parti de la caméra et surtout de bien gérer ses émotions. Ce dernier point est capital quand on sait que 80% de la communication repose sur le non verbal. En effet, l’image emporte le contenu. Car dans ce schéma, l’image est le contenu. Paradoxalement pour un homme de média comme Frédéric Mitterrand, j’ai eu l’impression surprenante d’un homme peu préparé vivant même un exercice éprouvant (quid du media training ?), touché (presque au bord des larmes), fragilisé et emporté par une hyper émotion, une hyper sensibilité rare dans ce milieu : tantôt ému (« je suis ému », « j’ai peut être été trop émotif »), tantôt indigné (« C’est comme si vous n’aviez rien entendu de tout ce que je viens de dire » s’adressant à la journaliste). Soit une posture en décalage total avec ce qu’implique a priori la fonction de ministre (de la culture et)… de la communication. Oui de la communication, rappelons le. Par cette attitude comportementale, Frédéric Mitterrand a semblé ne pas être maître de lui renvoyant, de fait, l’homme à ce qu’il est foncièrement : un homme de lettres avant tout et non pas un homme politique, lequel (au contraire) aime l’adversité, le challenge et l’excitation de ce genre d’exercice télévisuel qu’il prend avant tout comme une opportunité pour rebondir et exister publiquement. Oui, la politique est « quelque chose de dur ». Aussi, le passage de l’ombre artistique à la lumière politique est parfois brutal.

Toujours sur la forme, la prestation du ministre de la culture fut par moments, par le choix de certaines formules, assez peu convaincante selon moi (j’attends d’ailleurs avec impatience des sondages précis et sérieux sur cette question). En effet, malgré sa ferme et claire condamnation du tourisme sexuel et de la pédophilie, Frédéric Mitterrand a semblé, d’une certaine façon, banaliser les faits évoqués dans son livre : « Une vie qui ressemble beaucoup à la mienne, comme beaucoup de gens » dit-il ; « On peut connaître ce genre d’erreurs […], qui n’a pas connu ce genre d’erreurs » ? Une réplique aussi maladroite que confuse qui ne viendra d’ailleurs pas répondre à l’objectif d’éclaircissement demandé. Pour autant, la stratégie de Frédéric Mitterrand est intéressante car finalement cohérente tant elle s’inscrit une nouvelle fois dans l’émotionnel et l’affect (Mitterrand avouera même penser à « [sa] famille, à [ses] enfants, à [sa] mère »). A l’écran, ce n’est donc pas le ministre qui s’est exprimé et livré si pleinement hier soir (« Ma part de vérité » titrera en ce sens Libération en référence à l’ouvrage de François Mitterrand) mais bien l’homme à « l’existence difficile et compliquée » avec ses faiblesses, ses failles, ses doutes, ses peurs… et naturellement ses erreurs. Venu chercher vraisemblablement le pardon, Frédéric Mitterrand, dans le même temps fier et ferme (« Je ne rajouterai l’indignité à l’injustice » concernant une éventuelle démission), s’est finalement confessé auprès des téléspectateurs et d’une Laurence Ferrari dans un rôle strictement journalistique loin de toute compassion et de complicité. « Erreur » avouée, à moitié pardonnée dit-on ou presque. Pourtant, l’image de « marque » du neveu du défunt président de la République reste néanmoins écornée car la forte exposition médiatique fut (sur un tel sujet) vraiment négative. Maintenant, quel sera l’impact de cette affaire sur l’électorat de droite (puis sur la suite de la carrière politique de Frédéric Mitterrand) ? C’est la question centrale que doivent se poser actuellement les conseillers de Nicolas Sarkozy. A suivre donc de très près à l'appui des prochaines enquêtes d'opinion. François B.

1 commentaire: