Des rumeurs de plus en plus persistantes laissent entendre que François Hollande serait prochainement l'invité de Laurent Ruquier sur le plateau d' "On n'est pas couché". Une possibilité qui révèle la rationalité de la stratégie de communication mise en oeuvre par le président, conscient de l'atomisation de la société et des chutes d'audience significatives des médias traditionnels.
Est-ce une bonne stratégie de communication ?
François Belley : Si l'on fait du marketing politique de qualité, il est évident qu'il faut cibler les bons supports pour pouvoir toucher la bonne cible. Ainsi, si l'on veut s'adresser à la France de la terre, il n'est pas totalement inintéressant de prendre la parole dans un support presse largement lu par cette frange de la société. Si l'on remonte un peu dans le temps, ce qui a constitué une nouveauté en termes de stratégie de communication réside dans le ciblage de la presse régionale au cours des années 1970/1980. La stratégie actuelle de François Hollande est bien éloignée de celle d'un Gérard Colé ou d'un Jacques Pilhan, tous deux en charge de la communication de Mitterrand. La stratégie de la "rareté" qu'ils sont connus pour avoir théorisé consistait à dire que François Mitterrand étant président de la République, celui-ci ne prendrait la parole que dans des moments importants, graves et solennels, contribuant ainsi à dessiner les contours d'un homme présidentiel. Or, le problème de fond de Hollande est là : il n'est pas du tout présidentiel. De fait, je ne suis même pas sûr qu'il y ait une véritable stratégie de communication au sein de son état-major.
Lors de sa campagne présidentielle en 2008, Barack Obama affirmait la nécessite d' "aller là où sont les gens", privilégiant notamment la communication auprès de différents groupes, notamment communautaires (Afro-américains, Asiatiques, Hispaniques, etc.) via les réseaux sociaux. Cette campagne n'a-t-elle pas été un tournant dans la mise en place de cette stratégie privilégiant la communication auprès de groupes spécifiques ?
François Belley : Au cours de cette campagne, Obama
a révélé trois forces. La première, c'est qu'il a compris avant la
plupart des hommes politiques, notamment français, que
l'électeur-citoyen ne s'informait plus via les médias traditionnels.
Partant de ce principe, il est allé le toucher ailleurs, et notamment
sur les réseaux sociaux à l'heure du 2.0, qui offrent la possibilité de
participer et d'interagir. Chaque citoyen-électeur devenait alors
citoyen-contributeur de la campagne.
Sa deuxième force a consisté dans son constat
établi que les électeur-citoyens étaient convaincus de la déconnexion
des hommes politiques par rapport à la réalité. Face à ce
postulat, il a décidé d'être un homme politique ancré dans le réel. Ceci
explique l'intérêt de la désacralisation de la fonction politique (ici
la fonction présidentielle). Cette désacralisation passe par la
constitution d'images scénarisées, à l'heure du tout numérique, insérées
dans une séquence présidentielle "normale". Il incarne alors un
président "normal" : il fait du basket dans son bureau, soit dit en
passant l'une des images les plus retweetées ; on le voit encore allongé
dans son bureau, jouant avec un enfant, là encore dans son bureau, etc.
Il développe l'image du bon père de famille, donnant l'impression
d'incarner l'homme moderne. Il s'est donc construit en opposition avec
l'image traditionnelle de l'homme politique moderne, marquée par un
éloignement de la réalité.
Imaginez la mise en place d'une telle stratégie par les conseillers en communication de François Hollande : Hollande
en train de faire du basket, allongé dans son bureau, etc. Ce n'est pas
la stratégie qui est mauvaise, et j'en arrive à la troisième force
d'Obama : c'est un excellent interprète. Il exécute sa
stratégie de communication comme un show à l'américaine. Par exemple,
Obama est très réputé pour ses mots d'esprit et d'humour ; à l'inverse,
lorsque Nicolas Sarkozy se met à faire de l'ironie dans ses
interventions, ou bien Hollande, cela ne fonctionne pas. Obama peut se
permettre une apparition dans une émission de télé-réalité, communiquer
sur Twitter, etc. car cela fonctionne, pour la simple et bonne raison
qu'il est le premier président numérique, ce qui renvoie, dans la forme,
à une certaine modernité, à une certaine façon de faire de la
politique. Ainsi, la marque Obama, après presque 10 ans d'exposition
dans la "politique-spectacle", demeure attractive et populaire. Cela n'a
pas été le cas avec Nicolas Sarkozy comme le confirme les difficultés
de son retour, la marque étant usée ; quant à l'image de François
Hollande, celle-ci est complètement détériorée.
Dans un contexte de société de plus en plus
atomisée, où il est devenu impossible pour les politiques de toucher
l'ensemble de la population via un seul canal/média, est-ce une
stratégie de communication à laquelle les hommes politiques ne peuvent
plus échapper ? N'est-ce pas finalement une nécessité qui fait loi, plus
qu'un choix parmi d'autres ?
François Belley : Il
est évident qu'on ne peut pas penser aujourd'hui sa stratégie de
communication uniquement par le biais de la radio nationale le matin
et/ou de TF1 le soir. Plusieurs créneaux existent aujourd'hui
et il convient de les occuper, à quoi s'ajoute l'existence des réseaux
sociaux (Facebook, Twitter et Instagram).
En
France, globalement, les hommes politiques sont sur les réseaux sociaux
mais peinent à en penser leur utilisation stratégique. La semaine
dernière encore, François Hollande accordait une interview en direct sur
Periscope, et se faisait dans le même temps "troller", des messages peu
élogieux à son égard apparaissant alors à l'écran. Dans ces conditions,
il n'est pas possible de construire une image. Une image présidentielle
s'impose, elle n'est pas imposée surtout lorsqu'on est président de la
République. C'est tout le problème de François Hollande.
La segmentation de la société n'arrange en rien
l'affaire. Celle-ci est due à un repli communautaire, résultat de la
crise qui se manifeste par une perte de sens et d'identité. Par
conséquent, les hommes politiques sont contraints d'adapter leur stratégie politique. Dans la séquence politique que nous connaissons actuellement, est-ce véritablement stratégique de s'exprimer dans Elle ?
La communication politique doit être mise au service de l'action, un
mot que nous avons complètement oublié. Ce que l'on pourrait conseiller
aux hommes politiques actuellement, c'est de se taire de plus en plus,
de moins se montrer, et de faire davantage. La question à
laquelle les politiques devraient répondre quotidiennement est la
suivante : "qu'est-ce que j'ai fait aujourd'hui?", et non pas "qu'est-ce
que j'ai dit ?". L'utilisation des réseaux sociaux en est symptomatique
: c'est de l'illustration de l'ego trip dans toute sa splendeur, avec
des messages à 90% du type "Retrouvez-moi dans 10 minutes sur RTL pour mon interview".
Où sont les idées et les actions politiques là-dedans ? Car si la
communication politique n'est pas constituée par l'action, alors nous
sommes dans ce que j'appelle la "politique-spectacle".
Une telle stratégie, impliquant par exemple
d'aller s'adresser à une partie ciblée de l'opinion sur le plateau d'On
n'est pas couché, est en revanche fortement contestée au motif qu'elle
contribue à la désacralisation de la fonction politique. Quel est le
réel rapport coût/bénéfice d'une telle opération pour nos dirigeants
politiques ? Que regagnent-ils de ce qu'ils perdent en respect de leur
fonction ?
François Belley : Si l'on reprend l'apparition de Manuel Valls en janvier dernier sur le plateau d'On n'est pas couché, la seule stratégie ici consiste à aller parler politique à ceux qui ne s'intéressent plus à la politique.
Il s'agit là d'une très mauvaise stratégie, principalement parce
qu'elle contribue à nourrir la "politique-spectacle". Nous vivons
actuellement une double crise : celle de la politique et celle du
politique, plus importante que la première. Nombreux sont les sondages à
révéler la défiance des Français à l'égard du personnel politique,
alors qu'ils sont passionnés de politique ; nous sommes d'ailleurs le
pays où il y a le plus de sondages réalisés, de micros-trottoirs, etc. A
l'heure actuelle, le seul temps de parole conséquent accordé aux
politiques, malheureusement, c'est dans les émissions de divertissement,
et non pas dans des émissions spécialisées.
Le seul gain pour compenser cette désacralisation,
c'est la flatterie de l'égo. Ce type de stratégie ne nourrit ni la
fonction du politique, ni ne participe à la réconciliation des Français
avec la politique.