Atlantico : Après
avoir contesté la véracité de ses propos rapportés dans Le Point, selon lequel
elle aurait critiqué plusieurs membres du gouvernement, Ségolène Royal refait
parler d’elle en se disant ouverte à l’idée d’opérations conjointes entre l’armée
et la police à Marseille. Que traduit ce retour sur la scène médiatique ?
Quel objectif poursuit-elle ?
François Belley : Avec Ségolène Royal il faut toujours se poser
trois questions : la marque Royal est-elle toujours attractive auprès des
Français ? Le retour est-il possible ? Comment peut-elle
l’orchestrer ? Ses sorties médiatiques sont très "ségolinistes".
Historiquement, elle a toujours su manier la petite phrase qui fait mouche, ou
en tout cas le verbe qui fait exister médiatiquement. On sait qu’elle est
adepte de la "triangulation", qui consiste à prendre des idées dans
le camp adverse. On se souvient de l’ordre militaire et de "l’ordre
juste" pendant la campagne présidentielle. Lorsqu’elle parle d’armée à
Marseille, cela obéit à sa tendance à aller à l’encontre de son courant
d’origine pour faire parler d’elle.
Aujourd’hui c’est uniquement sur le champ
médiatique qu’elle peut exister. Quand elle parle de risque de Guerre mondiale
à propos de la Syrie, elle est l’une des seules à s’autoriser ce genre de
formulation. Elle sait que ce genre de phrase est facilement repris. Elle sait
utiliser le levier "people", en se mettant en scène dans l’affaire du
Point.
Concernant son attractivité, elle est encore
aujourd’hui une "femme marque". Elle est toujours associée à une
dimension participative, émotive et combative. En politique, cette identité est
une force. Et qu’on l’aime ou qu'on la déteste, elle ne laisse pas indifférent.
Le gouvernement manque cruellement de personnalité et de charisme. A part
Manuel Valls et Christiane Taubira à l’occasion, la scène n’est pas très
occupée. Royal est comme le Phœnix : alors qu’on la pensait finie
politiquement en 2007, elle est passée devant Martine Aubry au congrès de
Reims. Même en larmes aux primaires socialistes, elle émeut toute la France…
Sur la forme, son retour est donc toujours possible. Sur le fond, elle a
toujours des propositions et une expérience en tant que ministre supérieure à
François Hollande.
Peut-elle être porteuse de son propre mouvement ? A-t-elle la
capacité de générer une adhésion populaire, et sur quelles idées ?
François Belley : Qui peut dire si Désir d’Avenir existe
encore ? Ce mouvement existait à un moment particulier, grâce à l’échéance
présidentielle. Mais elle a encore une carte à jouer. Sur le fond, elle donne
l’impression de bien sentir les événements. Elle n’hésite pas, dans ses
propositions, à s’affranchir de son parti, qu’elle ne cite d’ailleurs jamais.
Elle ose et n’a pas peur de parler d’une intervention de l’armée à Marseille.
Philippe Braud : Sa base politique se
réduit, elle est aujourd’hui très isolée. Ségolène Royal conserve l’admiration
de personnes peu politisées, qui aiment son vocabulaire moral et émotionnel,
l’image qu’elle renvoie et le fait qu’elle est une femme. En termes politiques,
ce soutien ne s’exprimera pas. Au sein du PS, les rescapés du royalisme sont de
moins en moins nombreux et audibles.
Elle a souvent étonné ou pris de cours des gens
qui la soutenaient. Elle a donné l’impression d’être écolo en 95-98. Sur les
questions de sécurité, elle a témoigné d’une certaine rigidité. Et sur les
questions de la fiscalité et de l’austérité, sa ligne politique est difficile à
interpréter. Son créneau serait celui de la sensibilité socialiste d’ordre
moral. Le "socialisme émotionnel", en quelque sorte, qui est un très
petit créneau.
A trop se singulariser, risque-t-elle de se couper de toute
base politique ? Peut-on parler de numéro d'équilibriste ?
François Belley : C’est son fonds de commerce. Elle est l’une des
rares personnes à pouvoir s’affranchir du Parti socialiste, alors que par
exemple Martine Aubry en est un produit. Ségolène Royal s’affranchit de
l’ombrelle du parti pour imposer sa marque, son style et sa différence. Sur le
fond (ordre juste, encadrement militaire des jeunes…) et dans la forme
(meetings aux airs évangélisateurs…), elle a totalement dénoté vis-à-vis du
reste du PS.
A jouer cavalier seul,
s’est-elle définitivement fermé les portes du gouvernement ? Pourquoi ?
François Belley : Encore faut-il que la place au gouvernement
soit intéressante en termes d’exposition. La campagne 2006, en interne, ne l’a
pas ménagée, et il en reste certainement des séquelles. La bataille des egos
entre François Hollande, Valérie Trierweiler et elle n’arrange rien. Cela
ferait les choux gras de la presse people pendant des mois.
Propos recueillis par Gilles Boutin
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