INTERVIEW DANS LE POINT.FR le 30.10.2013
"Vous n'allez pas encore parler de sa coupe de cheveux !"
s'insurge-t-on, mi-amusé, mi-exaspéré, dans l'équipe de campagne de
Nathalie Kosciusko-Morizet. "Intéressez-vous un peu au fond, pas
toujours à l'image..." Soit, mais quel fond ? Interrogés sur les
propositions de la candidate UMP à la mairie de Paris, la plupart des
Parisiens avouent volontiers leur ignorance. Voire leur désintérêt.
"Franchement, je n'en sais rien", "Je n'ai pas suivi", "On verra plus
tard", répondent les uns et les autres, sympathisants de gauche comme de
droite. Des mesures préconisées par NKM en matière de sécurité, de ses
positions sur l'immigration, du plan culture dévoilé jeudi dernier, ils
ne savent pas grand-chose et n'y attachent guère d'importance. "De toute
façon, ce qui se dit aujourd'hui ne ressemble pas à ce qui se dira dans
cinq mois, au moment du scrutin", philosophe Denis d'Argent, 76 ans,
artiste-brocanteur et habitant de longue date de la capitale. Le constat
vaut aussi pour Anne Hidalgo, dont les électeurs ne connaissent bien
souvent que le titre de "dauphine" de Bertrand Delanoë. Autant dire qu'à
ce stade tout se joue sur l'image.
Nathalie
Kosciusko-Morizet le sait parfaitement, qui a fait de son nom un
acronyme accrocheur et de cet acronyme un logo en accroche-coeur. "NKM,
ça sonne, ça imprime, c'est une marque en devenir", décrète François
Belley, publicitaire et auteur de Ségolène ® la femme marque, qui
explique : "Une marque, c'est une force d'évocation, un territoire de
compétence, une référence. Ségolène Royal, par exemple, évoquait le
participatif, la proximité ; Sarkozy incarne le volontarisme,
l'action... Pour Martine Aubry et François Hollande, en revanche, on ne
peut pas parler de marques, mais de produits. Sans le PS, ils
n'existeraient pas. Alors que Ségolène et Sarko ont une existence, au
moins médiatique, au-delà de leur parti."
Face à une Hidalgo partie avec une longueur d'avance, mieux implantée et plus habituée des dossiers parisiens, face à des dissidences nombreuses, des négociations avec l'UDI
et le MoDem qui n'en finissent pas, un projet aux contours encore flous
- ses détracteurs disent "vide et sans cohérence" -, il reste à
l'ancienne porte-parole de Nicolas Sarkozy une valeur sûre : elle-même.
Dans le vent
Mais
de quoi NKM est-elle la marque ?
"De l'énergie, de la liberté, du
renouvellement", claironne Pierre-Yves Bournazel, tête de liste dans le
18e arrondissement. Aussi apologétique soit la formule - on n'en attend
pas moins d'un porte-parole -, elle s'appuie sur un parcours politique
qui contribue à l'accréditer auprès de l'opinion publique.
Polytechnicienne devenue, à 29 ans, plus jeune députée de France, femme
d'influence dans un milieu d'hommes, secrétaire d'État à l'Économie
numérique, première personnalité politique à avoir embrassé Twitter (où
elle compte plus de 250 000 followers, contre moins de 100 000 pour Anne
Hidalgo), ministre de l'Écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet est
décidément dans l'air du temps.
Et surfe évidemment dessus :
"Notre marque, c'est l'invention, c'est l'avant-garde, c'est le
progrès", lançait-elle le 30 juin dernier place de la Bastille, lors
d'un grand meeting public. Ses quelques heures de gloire médiatique, où
on la vit dénoncer le "concours de lâcheté et d'inélégance entre
Jean-François Copé et Jean-Louis Borloo", s'attirant les foudres du Premier ministre, ou déclarer qu'elle voterait PS
en cas de duel avec le FN, s'attirant les foudres de l'électorat de
droite, ont parfait le tableau en lui donnant une touche rebelle en
phase avec son surnom chiraquien d'"emmerdeuse". Résultat, les
Parisiens, même défavorables, la voient comme une battante.
Mélange de fascination et de distance
Revers
de la médaille, cela ne cadre pas vraiment avec le coeur tendre et
inclusif de son logo de campagne. "Je trouve NKM très agressive. Elle en
fait des tonnes, et on finit par douter de sa sincérité et de son
authenticité", confie Céline Jeandenant, une résidente du 11e
arrondissement, qui dit préférer la discrétion d'Hidalgo, même si,
concède-t-elle, l'héritière de Delanoë est parfois "un peu trop
transparente derrière lui". Placée, de par son statut de "challenger",
dans une posture de combativité, NKM agace, impressionne, intimide.
Lors
de ses rencontres publiques, on sent chez les électeurs un mélange de
fascination et de distance que ses talents encore insuffisants
d'oratrice ne parviennent pas à vaincre. Son phrasé semble crispé, ses
sourires, nerveux, sa conversation de salon, sans chaleur. L'ex-ministre
a beau se mêler à la foule, serrer des mains et multiplier les gestes
d'amitié, ses interlocuteurs n'ont jamais l'air tout à fait à l'aise.
"On sait depuis Platon que le gouvernement ne doit pas ressembler aux
gouvernés. Donc, c'est plutôt rassurant, quand vous la croisez, que vous
n'ayez pas envie de lui taper dans le dos et de lui dire on va boire une bière, Nathalie !"
veut croire Rudolph Granier, président de l'Union des jeunes pour le
progrès (UJP), qui copilote la campagne de NKM depuis le pôle politique.
"Les Parisiens veulent un maire proche d'eux", signale pourtant
Jean-Marc Lech, directeur de l'institut Ipsos...
Nouveau look pour une nouvelle vie
Agressive,
froide, bourgeoise, c'est l'autre image de Nathalie Kosciusko-Morizet,
qui tente de s'en dégager. À ce titre, la décision de s'afficher
désormais cheveux longs détachés, plutôt que parée de son habituel
chignon, ne peut être anodine. "Elle cherche à adoucir son image, à
quitter celle de la carriériste sévère, de la tueuse, comme elle
s'est autrefois décrite", analyse Philippe Moreau Chevrolet, spécialiste
de la communication politique. "Elle n'est plus dans le même registre :
avant, elle était dans un milieu masculin où elle devait s'affirmer
pour gagner ; là, elle est face à une autre femme, à Paris capitale de
la mode, où il y a une sorte de modèle convenu de la Parisienne. Elle doit pouvoir y faire écho et séduire."
Ce changement de style est particulièrement frappant dans la vidéo de son passage à la Nuit blanche, enregistrée par Le Petit Journal.
On y découvre une NKM "cheveux au vent, mains dans les poches, veste
kaki, clope au bec, parlant avec une gouaille un peu canaille : une
vraie titi parisienne", décrit François Belley, pour qui l'épisode
s'apparenterait presque à l'émission de M6 Nouveau look pour une nouvelle vie.
"Et quand elle rattachera ses cheveux, on aura droit à quelle analyse
?" ironise-t-on dans l'entourage de l'intéressée. "Sans vouloir offenser
personne, j'ai pas prévu de faire un sondage sur le sujet, je m'en
moque, je me coiffe comme j'ai envie de me coiffer et j'aimerais bien
qu'on parle de mes propositions un peu", s'impatientait récemment NKM
sur le plateau du Grand Journal.
Le pouvoir psychologique d'une marque
C'est
l'inconvénient quand on devient une marque : on se retrouve à devoir
gérer la com' de la com', à discuter de l'emballage aussi bien, voire
davantage, que du contenu. Le jeu en vaut-il la chandelle ? Sa
progression dans les sondages semble en tout cas indiquer qu'elle tient
le bon cap : nettement en tête avant l'été, Anne Hidalgo se laisse rattraper.
Grâce à sa maîtrise du marketing politique la candidate UMP, qui occupe
le terrain médiatique par des rebonds permanents sur l'actualité
(rythme scolaire, Roms, travail le dimanche...), impose son tempo à la
campagne municipale.
Progressivement, la marque NKM
s'implante donc dans l'esprit des Parisiens. "Et une marque, ça
rassure", rappelle François Belley. "On choisit spontanément Coca-Cola
plutôt qu'un autre cola. Que ce soit justifié ou pas, psychologiquement,
il y a un certain gage de qualité, de prestige, de pérennité." Même les
arrondissements les plus ancrés à gauche n'y sont pas totalement
insensibles. "Elle est plus classe qu'Hidalgo, NKM, plus élégante",
affirme sans hésiter Fatia Romeu, propriétaire de plusieurs instituts de
beauté à Paris, dont deux dans le 11e. "Par rapport à ce que me disent
mes clients, je crois qu'elle a ses chances", rapporte cette
sympathisante socialiste. "En tout cas, ils disent que la campagne est
beaucoup plus difficile que les précédentes pour la gauche."
Propos recueillis par Phalène de La Valette
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